Au temps où faire du fer n'était pas l'enfer !

Les vendanges, la fenaison, la collecte du fer et la cueillette des champignons… Chronique de la vie paysanne au fil des saisons et au gré des filons dans le Périgord au Moyen Âge

Un peu comme les cèpes surgissant un beau matin de leur matrice souterraine de mycélium – écoutez bien, à cet instant précis leur éclosion fait « plop ! » – le minerai de fer se trouve à fleur de terre en Périgord. Il faut vous représenter un labyrinthe de filons ferrugineux, tapis sous les mousses des plateaux forestiers.

Réduction du minerai de fer au Moyen-Âge - La fonte du fer au Moyen-Âge, d'après "De Re Metallica" de Georgius Agricola, 1556
Réduction du minerai de fer au Moyen-Âge
Dolmen de Laprougès dit Dolmen de Pierre Rouille à Valeuil en Dordogne - Crédit photo : Père Igor - Sous licence Creative Commons (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.fr)
Dolmen de Laprougès dit Dolmen de Pierre Rouille à Valeuil en Dordogne - Crédit photo : Père Igor - Sous licence Creative Commons (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.fr)

Dès la Préhistoire, la recherche du minerai de fer a commencé au cœur des forêts, avec à l’époque semble-t-il, une fascination pour certaines dalles très dures érigées en monuments. On retrouve en Dordogne des mégalithes bâtis au Néolithique, il y a 8000 ans, constitués d’épaisses dalles oxydées très ferrugineuses.

Au Moyen-Âge, ce sont les paysans qui recherchent les gisements de minerai de fer pour le compte du Seigneur ou de l’Abbé, à temps perdu, entre la fin des vendanges et la récolte des foins. Ce même temps perdu au cours duquel ils préparent le charbon avec les chênes et les châtaigniers locaux.

Une fois la veine excavée, un bas fourneau est aménagé. Il s’agit de bâtir à même le sol un conduit de cheminée en brique de terre cuites, à hauteur d’hommes. Cinq ou six hommes au total placent dans ce four fabriqué en pleine forêt, à proximité des gîtes métallifères de surface qu’ils ont commencé à exploiter, des charbons ardents puis le minerai extrait, lavé et pilé. Des outres gonflées d’air assurent la combustion grâce à des entrées prévues à cet effet, tandis que le métal est vigoureusement brassé à l’aide d’une perche de bois vert.

Les fameuses scories, résidus solides provenant de la fusion du minerai de fer, que l’on retrouve aujourd’hui encore dans nos forêts de Dordogne sont la trace de l’emplacement de ces primitifs fourneaux.

Image d'une scorie retrouvée à La Ferrassie en Périgord, un lieu-dit qui évoque précisément cette métallurgie du fer ancestrale.
Image d'une scorie retrouvée à La Ferrassie en Périgord, un lieu-dit qui évoque précisément cette métallurgie du fer ancestrale.

Cette métallurgie rudimentaire dite « à la catalane » pratiquée lors du Haut Moyen Âge, permettait une réduction directe du minerai de fer. Le massé obtenu étai aussitôt cinglé sur place par le forgeron. La qualité du minerai local était de bonne qualité mais le rendement limité, pas plus 4 à 5 kilos de fer par coulée.

Image d'un bas fourneau forestier « à la catalane » tel qu'on les fabriquait lors du Haut Moyen Âge
Image d'un bas fourneau forestier « à la catalane » tel qu'on les fabriquait lors du Haut Moyen Âge
Une loupe d'éponge de fer, juste après son extraction du bas fourneau, en cours de cinglage. Opération réalisée dans le cadre d'un projet d'archéologie expérimentale gérée par le Historic Preservation Department de l'université Mary Washington de Fredericksburg, en Virginie, en 2006. Crédit : Morgan Riley - CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)
Une loupe de fer obtenue après démolition du bas fourneau. Autour d'elle se trouvent des morceaux de scories provenant du pilonnage par le marteau du forgeron. - Crédit : Morgan Riley - CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)

Comme ces paysans et charbonniers avaient besoin d’avoir à portée de main et le minerai pour le fer et le bois pour le charbon, dès que l’une ou l’autre ressource était épuisée, le fourneau était abandonné et on partait en fabriquer un autre ailleurs.

Cette métallurgie débutante était ainsi itinérante, trouvant toujours de nouvelles opportunités grâce aux nombreux filons ferreux en poches ou en plaques disponibles sous le couvert forestier lui-même généreux en chênes et en châtaigniers particulièrement indiqués pour fabriquer du charbon.

Petite parenthèse géologique. Comment le fer s’est-il retrouvé enchâssé sous forme de plaques ou de poches sur les plateaux forestiers de la Dordogne ?

Chouette ! Un peu de géologie pour nous rappeler que, comme les plantes et les animaux, les roches sont vivantes elles aussi et évoluent en permanence sur Terre depuis 4,5 milliards d’années.

Le fer se trouve en Périgord sous forme de différentes altérites ferruginisées. Piégées dans le réseau karstique des calcaires du Crétacé supérieur – période ou pullulaient les dinosaures à l’horizon – ces ferruginisations se sont formées par l’apport en différentes proportions de fer et de silice.

En résulteront soit de véritable dalles silico-ferrugineuses enfermant le fer dans le réseau cristallin, soit des cuirasses noduleuses à cortex hématitique à forte teneur en oxyde de fer.

Des forges volantes aux forges hydrauliques, l'essor d'une industrie métallifère en Périgord

Riche de ces poches d’hématite et des ces dalles dures pleines de fer, le Périgord qui s’étend de Nontron au Nord Ouest jusqu’au portes de Fumel au Sud Est, deviendra une région d’extraction du minerai de fer très active du XVIᵉ jusqu’au XIXᵉ siècle. Trois principaux centres métallurgiques s’imposeront :

  • celui du Nontronnais, dans le Bassin du Bandiat

  • celui d’Excideuil-Hautefort, sur les vallées de la Loue et de l’Auvézère

  • celui de Fumel-Cadouin au Sud du Périgord Noir, entre le Lot et la Vézère.

En 1860 on dénombrait pas moins de quarante forges et hauts fourneaux d’un bout à l’autre la Dordogne, avant le déclin qui surviendra inéluctablement à la fin du XIXᵉ siècle en raison de la révolution industrielle.

Des bas fourneaux forestiers itinérants aux hauts fourneaux hydrauliques dans les vallées, que s'est-il passé ?

On apprend, on innove et on veut toujours plus. C’est ce qui fait progresser jusqu’à l’excès toute forme d’industrie humaine.

Le secret pour passer du fer à la fonte de fer, c’est la température du fourneau.

En clair, le bas fourneau transforme le minerai en fer, le haut fourneau transforme le minerai en fonte.

Après la Guerre de Cent Ans, la soif de rebâtir et de guerroyer, car on s’en lasse jamais, exige une montée en puissance de la production métallurgique.

Les principaux objectifs sont les suivants :

  • rebâtir les monuments

  • renforcer l’armement

  • produire des outils agricoles

  • développer le confort domestique.

En gros, il nous faut des arquebuses et des canons, des cloches et des pentures, des marmites et des poêlons. Et surtout des grandes cuves bien solides, chez nous pour la grande lessive et dans les Colonies, pour extraire le sucre de la canne. Ces énormes « cuviers » jusqu’alors hors de portée en terme de fabrication vont connaître aux XVIIᵉ siècle un véritable essor.

Grand cuvier en fonte de fer pour la lessive – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME076]
Grand cuvier en fonte de fer pour la lessive – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME076]
Chaudière à sucre pour les Colonies – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME075]
Chaudière à sucre pour les Colonies – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME075]

Les bas fourneaux en pleine forêt, c’est dépassé. Les fourneaux et les forges disposent à présent de la force hydraulique des cours d’eau. Ce sont les moulins qui vont permettre une réduction bien meilleure du minerai et un martelage bien plus puissant des loupes de fer.

Mieux encore, grâce à une température qui franchit le seuil des 1500°, la production d’une fonte de fer à même d’être coulée à chaud dans des moules d’argile va permettre de produire toutes les tailles de chaudières, qu’on y mitonne la soupe pour un village tout entier, qu’on y fasse la grande bugade de printemps – la lessive en occitan – ou qu’elles soient promises à un long voyage vers les Colonies où ces chaudières à sucre seront attendues avec fébrilité.

Certains de ces anciens cuviers, généreux pour la soupe, parfaits pour les grandes lessives ou empilables pour les envoyer par bateau vers les Colonies ont réussi à traverser les siècles et à revenir parmi nous.

Aux-Rois-Louis vous en propose quelques remarquables survivances, issues des célèbres fonderies du Périgord.

Petit cuvier pour la soupe en fonte de fer – XVIIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME077]
Petit cuvier pour la soupe en fonte de fer – XVIIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME077]

Petit cuvier pour la soupe en fonte de fer – XVIIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME077]

Ce type de cuvier était utilisé pour préparer la soupe lors des grandes récoltes dans les importants domaines agricoles. Il faut imaginer jusqu’à quarante personnes travaillant dans les champs. Il s’agit de les nourrir copieusement deux fois par jour. Cette grosse marmite était placée sur un foyer de maçonnerie établi dans une cuisine rustique. Tous…

Grand cuvier en fonte de fer pour la lessive – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME076]

Ce grand cuvier était destiné à faire la lessive de toute la communauté religieuse ou domaniale. On le remplissait d’eau bouillante et d’une lessive à base de cendres, celle-là même que l’on redécouvre aujourd’hui. La vidange appelée le « couladou » permettait de le vider sans le renverser, une fois le linge lavé. On peut observer…

Chaudière à sucre pour les Colonies – XVIᵉ siècle – Fonderies du Périgord – [ME075]

Issus des Fonderies du Périgord, ces cuviers se reconnaissent au premier coup d’œil. Ils sont de forme arrondie, dotés d’anses tiges et dépourvus de couladous (vidanges en occitan) ce qui permettait de les empiler pour le transport. Ces chaudières étaient en effet destinées à l’export. Elles devaient rejoindre par la Mer, sur de gros navires,…